Un instructif débat intitulé « le défi de l’eau » s’est tenu le 7 décembre lors des 9es assises de la Transition écologique du Club Immobilier Marseille Provence : consommation, tarification, approvisionnement, raréfaction, réutilisation et santé, les défis sont pluriels.
François Gemenne, membre du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), qui animait le débat, a d’emblée averti : « Sans projets plus économes en eau, nous nous exposons à la raréfaction mais aussi aux tensions sociales ». La croyant surabondante et illimitée, nous avons multiplié les usages de l’eau et ne l’avons pas économisée. Nous sortons à ce jour de cette naïveté et nous rendons compte que nous nous exposons à de plus en plus de conflits d’usages.
Coordinateur de l’observatoire Défense et Climat, François Gemenne a étudié les conflits liés à la ressource en eau, par exemple au Sahel, et il dresse le parallèle avec le cas français de Sainte-Soline, où un groupe reproche à un autre d’accaparer une ressource rare. La ressource en eau est déjà inégalement répartie en usages et va l’être en quantités ; or elle est un enjeu de cohésion sociale et territoriale.
Comment gérer ensemble la précieuse ressource en eau, en particulier à l’échelon urbain ? Etaient invités pour répondre à cette délicate question deux représentants des grandes entreprises privées de gestion de l’eau sur notre territoire, mais aussi en France et dans le monde, et deux représentants de l’autorité publique, incarnant la recherche et la santé.
Sandrine Motte, directrice générale des Eaux de Marseille, groupe Veolia, estime fondamental que le consommateur connaisse mieux sa consommation d’eau et se rende compte de l’impact au delà de la facture. C’est pourquoi des solutions de paramétrage des compteurs et d’alertes sont proposées, avec la faculté de pousser des messages « attention raréfaction ! » lors des arrêtés sécheresse. Des panels d’utilisateurs font remonter une préoccupation plus forte en Provence qu’en France, et une demande de pédagogie pour savoir comment mieux utiliser l’eau et à quoi servent les efforts faits. L’histoire s’oriente vers une tarification plus intelligente, progressive, pour faire payer plus cher les excès.
Délégataire du service d’eau potable de Marseille et 40 collectivités alentour, la Société des Eaux de Marseille (SEM) est l’opérateur privé qui intervient pour le compte des collectivités locales, propriétaires des infrastructures de canalisation et de stockage. L’ensemble des compteurs d’eau publics sont équipés de télé-relevés pour repérer les anomalies : l’an dernier plus de 10 000 consommations anormales ont ainsi été signalées et traitées. La difficulté réside dans l’habitat collectif, dominant en ville, avec 45 000 immeubles servis par la SEM, pour lesquels c’est la copropriété qui répartit la consommation d’eau parmi les charges, et dans ce système un peu complexe, « bien malin celui qui sait vraiment ce qu’il consomme individuellement en eau ».
L’interview de Sandrine Motte dans Gomet’ Planète avec un dossier spécial consacré à l’eau
Vincent Borel, directeur délégué Sud-est de Suez, explique l’origine de l’eau consommée sur notre territoire. Nous habitons le littoral, qui n’a pas d’eau locale, et l’importons de la montagne, par deux rivières, la Durance et le Verdon, canalisées pour capter et transporter l’eau jusqu’à nous : le Canal de Marseille, sur 80 km depuis la Durance à la Roque d’Anthéron jusqu’à Longchamp via le Nord de Marseille, et le Canal de Provence, sur 200 km depuis le Verdon vers Aix, l’est de notre Métropole et l’ouest du Var. Nos aménagements ont été construits au XIXe siècle et la question peut se poser à ce jour : le système Durance Verdon est-il encore sécurisé ? Avec la tension sur les précipitations et sur la chaleur, il y a moins d’eau, même dans les Alpes, et donc aussi dans nos villes.
Trois solutions techniques peuvent pallier cette raréfaction. D’abord la réutilisation des eaux usées, comme évoquée dans le plan eau présidentiel présenté à Savines-le-lac – Serre-Ponçon et le plan Or Bleu de la Région : ne pas renvoyer l’eau au milieu naturel, pour nous à la calanque de Cortiou, mais la récupérer, pour les usages urbains, la voierie, les espaces verts. La France réutilise à peine 1% de l’eau, à comparer à 10% en Espagne, 80% en Israël et à Singapour ; le plan eau national et régional vise 10% d’ici 2030. Ainsi, Nice développe le projet de station Haliotis, plus grand projet en France. Les villes mais les bâtiments à leur échelle aussi pourraient recycler les eaux.
Une autre solution est la réalimentation de nappe phréatique, comme à Hyères. La cité varoise pompe dans la nappe et s’expose à des remontées des eaux de mer sous-terraines ; réalimenter la nappe lui permet de repousser le biseau salé et continuer à alimenter la ville, avec un effet de levier important : de 400 000 m3 consommés par les 50 000 hyérois permanents, à six millions de m3 pour les 200 000 habitants l’été.
Enfin le dessalement de l’eau de mer pourrait être une solution pour les zones côtières, comme à Barcelone en Espagne, où depuis la sécheresse de 2008 la plus grande usine de dessalement d’Europe a été implantée (la plus grande au monde étant en Australie à Victoria). Même si dessaler est une forme d’aveu d’échec en gestion de l’eau, cela peut se justifier territorialement, dans les pays sans eau mais avec énergie abondante.
Nicolas Roche, enseigneur chercheur en génie des procédés au Cerege (Centre européen de recherche et d’enseignement en géosciences de l’environnement), Aix Marseille Université, a confirmé que « oui, des solutions existent en ingénierie et traitement des eaux » et rappelé que la santé était primordiale. Il a plaidé pour la décentralisation, pour aller vers de petites stations individuelles, et pour que le secteur du bâtiment mette des solutions locales à disposition des gens, qui majoritairement veulent réutiliser les eaux. Pour autoriser la réutilisation des eaux de façon sûre, en étant vigilant sur la gestion des responsabilités et de l’information en cas de double réseau d’eau (propre et grise), un texte est attendu en 2024.
Thomas Margueron, responsable régional santé et environnement de l’ARS (Agence régionale de la santé) de Provence Alpes Côte d’Azur, avec la casquette du contrôle de la santé, a mis en garde contre les risques sanitaires potentiels de la réutilisation des eaux pluviales et des eaux dites grises, et a souligné la nécessaire balance entre bénéfices et risques. L’ARS vérifie la qualité de l’eau du robinet, accompagne les populations et les collectivités, étudie l’urbanisme favorable à la santé et contrôle les expérimentations de réutilisation des eaux, comme à Fréjus, Antibes ou Grasse…
De manière générale, sa vigilance s’accroit, car le risque infectieux augmente avec le changement climatique, en particulier en saison estivale, lorsque les précipitations sont faibles et les températures élevées, via virus et bactéries, mais aussi via les moustiques présents dans le circuit de l’eau. De façon inédite, 80 personnes ont été atteintes de dengue dans la région l’an dernier. Il a rappelé que nous étions « tous acteurs de notre santé, qui ne dépend qu’à 10 % du soin et 20 % de la génétique, mais à 70 % de notre environnement et nos comportements. »
Le même jour, Groupama Méditerranée a annoncé la création d’une fondation d’entreprise et d’un fonds de dotation sur l’eau, pour contribuer à la préservation des ressources en eau.
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