Alors que l’on pourrait s’attendre à des scènes de vie devant la faculté, celle d’économie et de gestion d’Aix-Marseille université (site Colbert), devant la Halle Puget, dans le 1er arrondissement de Marseille est désertée dès la fin des cours. L’ambiance est morne, le site apparaît dégradé, des portiques de sécurité sont présents. Les étudiants ne s’attardent pas devant, cela s’apparenterait presque à une fuite.
Pour les étudiants, le trafic de drogue est un véritable fléau, avec les dealers qui viennent vendre leurs produits stupéfiants à la sauvette devant la faculté. En 2023, 123 points de deal ont été recensés dans Marseille. Le trafic de stupéfiants s’est déplacé vers le centre de Marseille et n’est plus endémique aux zones sensibles.
A la rentrée 2023, en réaction le conseil d’administration de la faculté a tapé du poing sur la table, menaçant de fermer les portes, considérant que la sécurité des étudiants n’étaient assurées. Lors d’une conférence de presse organisée en septembre à la CCI AMP, les commerçants du quartier ont aussi témoigné de la situation soulignant qu’ils avaient dû parfois eux-mêmes assurer la protection des étudiants face aux délinquants.
Thérèse Basse (Acam) : « Belsunce est en train de sombrer totalement »
Si elle n’a pas été mise à exécution la menace de fermeture de la faculté a poussé à agir. La préfecture de police a mis en place un dispositif de sécurité dans le périmètre avec une présence policière accrue. La réponse a cependant tardé à être mise en œuvre et en ce début d’année 2024, la situation reste très pesante.
« On voit les dealers depuis la fenêtre de la salle de cours »
Damien (prénom modifié), 21 ans, étudiant en master d’économie, dresse un constat fataliste. « On voit les vendeurs depuis la salle de cours. L’accès à la place est également souvent squatté côté Belsunce. En trois ans à la faculté j’ai appris à faire avec malheureusement ». Le constat est tristement partagé par ses amis qui ne cessent de déplorer l’état du site Colbert. Damien a eu le temps de voir la sécurité se dégrader petit à petit, malgré les multiples tentatives pour ramener l’ordre et la sécurité. « Le trafic continue, souvent même devant la camionnette de police. Certes cela ne se fait plus à proximité immédiate de la faculté mais à 10 mètres. De plus les entrées sur la place sont toujours squattées et la police n’arrive qu’à 8h quand souvent les étudiants pour commencer à 8h arrivent…plus tôt. Certaines filles qui se font suivre depuis le métro Colbert se sentent menacées ».
Pour l’étudiant, ces mesures sont insuffisantes et ne répondent pas à l’ampleur du trafic car les dealers sont toujours présents. « Les policiers sont là pour veiller techniquement à ce qu’il n’y ait aucune entrée étrangère dans la faculté (un portique avec badge permet de réserver l’accès, ndlr), ou que des étudiants se fassent agresser. Mais ils ne sont pas là pour réguler le trafic. À deux, ils ne le pourraient pas… J’ai pu observer quelques patrouilles parfois qui pouvaient venir contrôler les identités mais on est loin d’avoir réglé le problème. »
Le sujet de l’insécurité en ville a même agité le conseil municipal du vendredi 16 février : une trentaine d’étudiants, issus des syndicats de droite comme de gauche, ont manifesté devant l’hémicycle Bargemon, cette fois par rapport à l’insécurité aux abords des écoles situées Porte d’Aix. Interrogé à cette occasion, le président de l’Unef Aix-Marseille, Aurélien Petitjean Levonian, livre son sentiment : « La Ville est restreinte par ses compétences dans son action, elle a fait son maximum. Aujourd’hui, c’est à l’Etat, et donc la préfecture, que nous interpellons et qui doit mettre les moyens pour lutter contre l’insécurité à Marseille et travailler main dans la main avec la Ville. Aujourd’hui, ce n’est pas suffisant.»
Des mesures de protection des agents de l’hôtel de la Région Sud
Juste au dessus de la place Colbert, vers la porte d’Aix, l’insécurité a poussé le président de la Région Sud, Renaud Muselier, à prendre des mesures de protection des collaborateurs des services de la Région. « À la suite de la nouvelle dégradation de la situation depuis quelques jours, je suis en contact permanent avec le cabinet de la préfète de police pour lui rappeler l’urgence. Les locataires du bailleur Unicil, immeubles qui entourent l’Hôtel de Région menacent de ne plus payer leurs loyers en réaction à la présence quotidienne des dealers. De même, j’ai demandé que les arcades de la Place de l’Aqueduc, dégradés par des tags, soient nettoyées. Nous devons tous agir ! » s’exclame le Président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur le 17 janvier.
« Chacun doit pouvoir venir travailler et repartir de la collectivité en toute quiétude » rappelle la Région qui a mis en place plusieurs actions dont un dispositif de sécurisation du parking Sainte-Barbe, le déploiement d’une équipe de sécurité renforcée de cinq agents et de la vidéo protection. Les agents de la Région peuvent faire la demande de se faire raccompagner par un agent sécurité jusqu’au métro ou au parking » affirme la collectivité.
Pour la préfète de police, « il faut distinguer la délinquance du sentiment de malaise »
Face au phénomène global d’insécurité en centre-ville, la mairie va notamment implanter un poste de police municipale sur la Canebière, dans l’ancien espace culture, à l’angle du cours St-Louis. Côté préfecture de police, la préfète Frédérique Camilleri ne nie pas le sentiment d’insécurité qui persiste mais défend sa stratégie en termes de sécurité dans le centre-ville, lors de son bilan 2023 présenté en janvier : « Un dispositif est en place et j’ai de bons retours. Il nous faut traiter les faits de délinquance un à un. À côté de cela, il faut distinguer ce qui relève de la délinquance et du sentiment de malaise : les cris, les insultes, cela contribue au sentiment de malaise mais ne relève pas toujours de la police. »
La police nationale continue en tout cas sa traque des trafiquants en appliquant une logique de « pilonnage » : 70 points de deal ont été démantelés à ce jour et, en 2023, 2350 trafiquants ont été interpelés dans les Bouches-du-Rhône. Quant aux consommateurs, ils sont frappés au portefeuille : l’année dernière, 18 000 amendes forfaitaires ont été distribuées pour usage de stupéfiants.
Vincent Giely (avec J. R-G)