Le processus de remise en question des institutions sociales dans leur ensemble a été accéléré par l’incapacité des représentants du pouvoir à produire une élicitation partagée
Laurent Dousset
La spécificité des incertitudes telles que nous les connaissons actuellement, produisant des crises sociales majeures et, à mon sens, durables, est que le processus de remise en question des institutions sociales dans leur ensemble a été accéléré par l’incapacité des représentants du pouvoir à produire une élicitation partagée. Cette incapacité a plusieurs raisons, dont je ne citerai rapidement que celles que je considère comme étant les plus importantes.
D’abord et en premier lieu, une remise en question générale de la légitimité de la représentativité politique. Cette remise en question prédate l’arrivée du virus, bien évidemment, et semble un phénomène partagé dans les démocraties dites modernes. La remise en question de l’idée de représentativité ruisselle vers tous les étages de la société, de l’exécutive du pays jusqu’aux gérances et directions des plus petites entreprises ou associations. La crise du pouvoir, au sens général du terme, renvoie à des crises identitaires dont l’analyse n’est pas le sujet qui nous occupe ici, même si, sans aucun doute, les incertitudes actuelles ont tendance à renforcer et à polariser (rendre extrême) ce ruissellement et la délégitimation générale des formes d’autorité. De ce fait, même si les pouvoirs publics avaient voulu ou su produire un moment de consensus au sujet des pratiques et surtout des valeurs sociales qui permettraient de répondre aux incertitudes, son acceptabilité aurait été fortement entachée.
Ensuite, le fait que les institutions sociales, mais aussi les acteurs individuels, sont confrontés à une contradiction fondamentale : le virus n’est pas impensable en tant que tel, puisque l’existence de ses principes et les conséquences de ses effets épidémiologiques sont bien connues et partagées au-delà des seuls médecins et scientifiques. Pourtant, il n’a été ni pensé à proprement parler, ni anticipé par la production d’une forme de représentation sociale qui intègre cette existence. Dans ce sens, il ne s’agit pas d’une incertitude qui se fonde sur l’apparition d’une nouvelle forme de danger insoupçonné, mais bien d’une incertitude née de l’incapacité de nos sociétés à intégrer son potentiel en tant que vérité tangible : nous sommes la cause de notre propre incertitude, et il nous faut ainsi trouver des coupables. La crise actuelle est donc produite par le système social, et non par l’agent pathogène à proprement parler, renforçant de fait le phénomène de critique et de méfiance et le durcissement des fractions interprétatives.