La salle du Novotel d’Avignon était comble, lorsque jeudi dernier le 16 mars 2023, l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse invitait le monde agricole à réfléchir aux enjeux de la transition agroécologique. Rappelons que le territoire de l’Agence de l’eau inclut toutes les régions dont les eaux pluviales se déversent en Méditerranée. Plus de 300 personnes, donc dans cette salle, aux échanges vifs, parfois houleux, avec un constat central : l’eau se raréfie et il va falloir inventer de nouveaux partages. Une quinzaine de viticulteurs avaient ainsi fait le déplacement depuis les Pyrénées orientales, parce que leur département est d’ores et déjà impacté par la sécheresse et que les tribunaux doivent trancher entre le maintien des flux dans la rivière ou l’arrosage des exploitations. Le monde agricole est à bout, la colère à fleur de peau et l’angoisse d’impossibles productions est palpable.
L’Agence de l’eau promeut un « modèle agricole qui doit être réinterrogé dans un objectif de préservation des milieux aquatiques et de la biodiversité d’une part, et de souveraineté alimentaire d’autre part. » De fait, les terres agricoles représentent 40 % du territoire de l’agence de bassin. Mais cet aggiornamento de l’agriculture se fait dans la douleur. Christophe Cottereau, référent climat de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) exploite des plantes médicinales dans les Alpes-Maritimes, souvent en récolte dans les espaces naturels. Il constate qu’en vingt ans, le thym a perdu son potentiel de croissance, alors qu’il gagnait 20 cm par an dans le Mercantour, il y a une dizaine d’années, il ne pousse plus que de 2 à 3 cm aujourd’hui.
Pour Bernard Angelras, président de l’Institut français de la vigne et du vin, la filière viticole a déjà fait des choix : 90 % de la viticulture est sous le signe de la qualité, 80 % des vignes sont beaucoup moins traitées qu’avant. Mais aujourd’hui, alors que les problématiques s’aggravent, il faudra chercher de nouveaux cépages, travailler sur des créations variétales, croiser par exemple des vieux cépages régionaux avec des plans grecs. Et pour cela il faudra faire évoluer les cahiers des charges avec l’INAO, l’institut national des appellations d’origine. Un vaste chantier qui concerne aussi l’évolution des modes d’exploitation avec des changements très techniques : faut-il ou non garder le feuillage des vignes ? faut-il ou non labourer ? faut-il ou non, irriguer ? Si oui, comment ?
«Nous devenons des vignerons expérimentateurs. »
Bernard Angelras, Président de l’Institut français de la vigne et du vin
La Région Sud apporte son soutien au monde agricole
La région Sud apporte son soutien à cette mutation du monde agricole. Bénédicte Martin, vice-présidente en charge de l’agriculture, de la viticulture, de la ruralité́ et du terroir au sein de la collectivité se donne quatre priorités pour accompagner les 18 000 agriculteurs de la région Provence-Alpes-Côte d’azur : limiter les pertes des réseaux qui sont encore trop importantes, réduire les apports par l’innovation, transformer les techniques culturales (comme pour la lavande en crise en ce moment) et trouver des ressources complémentaires par la réutilisation des eaux usées.
Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, a fort à faire pour défendre de nouveaux partages de la ressource et inviter chacune et chacun à se projeter dans un programme de 5 à 10 ans. André Bernard, Président de la chambre régionale d’agriculture Provence-Alpes-Côte d’Azur, personnalité puissante et vindicative, a du mal à entendre les impératifs de respect de la biodiversité et des paysages et il maudit volontiers « les écolos. » Les agriculteurs ont fait de gros efforts de préservation de la ressource en eau, mais comme les exploitations augmentent, le prélèvement dans la ressource reste stable.
L’Agence de l’eau prône le dialogue
L’Agence de l’eau plaide pour des changements structurels. Laurent Roy est cash : « il ne s’agit pas de sauver la planète, il faut sauver l’humanité » martèle-t-il. « Je suis complètement agnostique sur les solutions, il n’y a pas de tabou, sur les solutions de stockage ou de transfert, ce ne sont pas de gros mots. Quarante-cinq projets de stockage d’eau de pluie ont été présentés à l’agence, une trentaine a été retenue. Mais, il n’y a aucun intérêt à créer des bassines ou des réserves, s’il s’agit de puiser dans la nappe phréatique, qui est un très bon réservoir, à l’abri de l’évaporation. La sécurité, insiste-t-il, est une illusion, ne parlons pas de sécurisation mais d’adaptation ! »
Le directeur de l’agence de l’eau le rappelle et le répète à qui veut l’entendre : il n’est pas le gendarme de l’eau et les décisions souvent drastiques de limitation des consommations relèvent de l’État et donc du préfet. L’agence elle, est dans la transformation de moyen et long terme. Laurent Roy préconise des projets de territoire : 72 bassins-versants existent dans la zone Méditerranée, 65 ont mis en chantier des stratégies concertées locales.
Pourtant il va falloir accélérer. Laurent Roy, s’il affiche volontiers des bilans d’investissement impressionnants, reconnaît que le changement climatique va plus vite et que les menaces sur les milieux aquatiques sont de plus en plus fortes. La sécheresse cette année semble exceptionnelle mais elle annonce peut-être des temps inattendus : il pleut moins, certes mais il ne pleut plus comme avant avec une généralisation des orages cévenols, par exemple et une raréfaction de l’enneigement hivernal. Le directeur de l’agence de l’eau appelle au dialogue sans exclusion. « Il n’y a pas de solution miracle » rappelle-t-il, même s’il faut toujours « trouver des solutions qui soient économiques »… « Tous les acteurs doivent se mettre autour de la table » Conclut Laurent Roy. L’Agence de l’eau fait du dialogue territorial le préalable de ses investissements, au risque de déclencher quelques colères…
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