Aux 2e Rencontres de la finance verte et solidaire organisées par Gomet’ le 22 novembre, une des grandes tables-rondes matinales a réuni un panel sélectionné d’investisseurs en capital, afin d’échanger sur leur approche de l’extra-financier.
Les fonds d’investissement sont déjà incontestablement un accélérateur de croissance des entreprises dans lesquelles ils investissent, en misant sur leur potentiel de développement et de valorisation par le levier quantifié de l’EBITDA (*). S’ils appliquaient les mêmes objectifs, rigueur et énergie à la croissance de la performance extra-financière de l’entreprise, ils seraient un levier formidable de progrès de l’économie.
L’influence croissante de l’extra-financier sur la valeur des entreprises
Justement, aujourd’hui, les investisseurs en capital disposent de deux raisons nouvelles d’avancer en ce sens : 1. la capacité, grâce à l’existence de données extra-financières désormais formelles, et 2. la motivation, par l’influence croissante de l’extra-financier sur la valeur des entreprises. C’est pourquoi le chemin est unanimement entamé, avec des degrés de maturité différents selon les acteurs, les entreprises en portefeuille et leur capacité de progrès en responsabilité sociétale et environnementale, respect du climat, de la biodiversité ou de l’humain.
L’arrivée cette année des rapports de durabilité audités par les commissaires aux comptes agréés (dits les CAC verts) et la réalité du calendrier et des données disponibles ont bien été rappelées en ouverture de l’échange par Matthieu Capuono, Crowe Ficorec. Et tous les investisseurs participant à la table ronde ont approuvé l’importance des données extra-financières des entreprises dans leurs analyses et décisions.
Interview de Matthieu Capuono : Crowe Ficorec, nouveau “CAC durabilité” du territoire
Raïssa Brian, directrice des relations investisseurs de Smalt Capital, confirme la stratégie de transition des fonds, en expliquant que quatre parties prenantes les y conduisent : certes, la réglementation ; ensuite, les actionnaires : pour Smalt il s’agit de la Caisse d’épargne CEPAC et du groupe BPCE, parmi les pionniers de l’investissement durable avec leur société de gestion dédiée Mirova ; également les clients, non seulement les institutionnels mais aussi les particuliers, pour qui l’impact et le sens des investissements peuvent prévaloir sur le rendement. Par exemple le fonds Smalt EnR (*) est décliné en Energreen pour les particuliers, et une appétence réelle est constatée ; et enfin, les équipes sont très sensibles à la transition de leur employeur.
Smalt sélectionne huit ODD des Nations-Unies
En effet, les collaborateurs de Smalt présents aux Rencontres de la finance verte et solidaire pouvaient le confirmer, leur équipe a sélectionné huit objectifs de développement durable (sur les 17 définis par les Nations Unies), parmi lesquels l’équité hommes/femmes, et Smalt a signé la charte Stop sexisme avec L’Oréal. « Smalt se sent d’autant plus ambitieux avec les entreprises du portefeuille, que nous sommes vertueux nous-mêmes ». 58 % des entreprises dans lesquelles Smalt a investi visent la mixité en direction (mais il reste encore du chemin à parcourir pour atteindre la parité). La table-ronde d’investisseurs et investisseuses elle-même était mixte, mais pas paritaire, le métier restant majoritairement masculin.
Hélène-Anaïs Bouscarle, qui dirige le pôle RSE/ESG (*) d’IXO Private equity depuis plusieurs années, a détaillé le rôle de ce pôle bien constitué pour accompagner leurs participations à la transformation, sous l’angle environnemental -carbone et biodiversité-, social et de gouvernance. « Un audit est effectué à l’entrée, avec un état des lieux de la maturité RSE de l’entreprise, pour travailler avec la direction post-investissement, identifier les axes stratégiques, amorcer la conscience RSE dans l’entreprise et faire qu’elle vole de ses propres ailes. Concrètement, un correspondant RSE est identifié pour le plan d’action, et au bout de 2 ans c’est souvent une personne à temps plein qui fait progresser l’entreprise dans ce domaine ».
Depuis, début décembre, IXO Private Equity a annoncé la parution de ses notes PRI (Principle for Responsible Investment, initiative soutenue par les Nations Unies), dont la progression témoigne de l’engagement en investissement responsable.
Rive Neuve Capital, représentée par Christophe Caille, est une entreprise à mission dédiée à l’investissement responsable : elle a lancé cette année avec Kyoseil AM un fonds à impact qui place la dimension RSE en tête des critères de sélection des investissements. L’accompagnement sur-mesure à la RSE de chaque investissement sera un levier de création de valeur : « à l’horizon de sortie de l’investissement, le progrès devra être mesurable et valorisable ».
Pauline Maillard (Rive Neuve) en soutien des start-up à impact
Anthonin David, sustainability manager chez Five Arrows, groupe Rothschild&Co, indique « qu’un réel apprentissage est en cours chez les investisseurs, accéléré par la disponibilité des données de durabilité. » Un effort est fourni par les gérants et analystes pour les comprendre et décoder l’ambition de transition ; cette interprétation ne peut pas être standard, mais adaptée. Elle doit prendre en compte le contexte de chaque entreprise et la situation financière. L’enjeu des financiers est de transformer la RSE en business model, pour que cette performance se retrouve dans la marge, les coûts, les risques, les investissements.
Région Sud Investissement, qui intervient dans le cadre du schéma régional en phase avec l’accord de Paris « une Cop d’avance », rappelle l’importance à ce jour de « ne pas opposer la finance verte à la finance : un modèle économique viable existe pour le vert », selon Benjamin Bessac. En effet, le temps est révolu où l’on considérait que la source de valorisation était purement financière. Aujourd’hui, pour Pierre Grand-Dufay président de Tertium Invest, « les critères extra-financiers font partie de la valeur utile, aux actionnaires, aux clients, aux salariés et à la collectivité, et l’Europe est en avance sur cette conscience. Même s’il est parfois difficile d’investir sur ces critères, dans le cas d’entreprises qui ne les respectent pas, il sera possible de les transformer ».
Alexandre Flageul : « Ne pas oublier les entrepreneurs qui sont encore carbonés »
Pour conclure, Alexandre Flageul, qui représente Sofipaca, la société d’investissement en capital du groupe Crédit Agricole dans notre région, et aussi les 25 investisseurs régionaux membres d’Ambition capital qu’il préside, confirme que « ces critères sont de plus en plus pris en compte, sinon les actifs ne vaudront plus guère à horizon cinq ou 10 ans, alors que nous investissons à long terme. La CSRD permet une lecture plus complète de l’entreprise. On apprend à mesurer ces critères et à identifier la performance associée. Attention toutefois à ne pas réserver tous les fonds aux entreprises vertueuses et à ne pas oublier les entrepreneurs qui sont encore carbonés. Nous devons nous adresser aussi à ceux qui n’ont pas encore les moyens ou les outils de progresser seuls en bilan carbone ou autres axes de transition : oui, il faut investir même en cas de bilan carbone lourd, par exemple dans le transport, justement pour apporter des solutions et agir !»
En illustration concrète, après cette table ronde, cinq binômes d’investisseurs avec cinq entreprises ont présenté leur approche opérationnelle de finance verte ou solidaire.
Lien utile :
Reportages, vidéos, supplément finance, consultez notre dossier consacré aux 2e Rencontres la finance verte et solidaire
- Signification des sigles : EBITDA : excédent brut d’exploitation ; EnR : énergies renouvelables ; RSE : responsabilité sociétale des entreprises ; critères ESG : environnementaux, sociétaux et de gouvernance ; PRI : principes d’investissement responsable ; CSRD : directive européenne sur le reporting durable des entreprises.