« Les activités concédées dégagent une forte rentabilité ». Comprendre, dans le langage très codifié de la Cour des Comptes, qu’il s’agit d’une véritable mine d’or ! Telle est l’une des principales conclusions d’un rapport de la Chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur qui s’est penchée, pour la période 2016-2022, sur les deux contrats de concession liant la Métropole Aix-Marseille-Provence au bénéfice de la Société marseillaise du tunnel Prado Carénage (SMTPC) et à la Société Prado Sud (SPS), filiales des mastodontes du BTP Eiffage et Vinci.
11 M€ de dividendes versés aux actionnaires chaque année
Durant la période contrôlée, les magistrats notent ainsi que le résultat de la Société marseillaise du tunnel Prado Carénage a permis de verser chaque année plus de 11 millions d’euros de dividendes aux actionnaires, sauf pour 2019, soit 184 M€ depuis l’origine du contrat jusqu’en 2023, « tout en constituant des réserves susceptibles d’être mises en distribution ». Le résultat de la Société Prado Sud est, elle, désormais excédentaire, le résultat net d’exploitation atteignant 9,4 M€ en 2022, « soit le triple de celui enregistré en 2016 ».
Pour rappel, la construction et l’exploitation du tunnel dit « Prado Carénage », qui relie l’autoroute A 50, passant au sud de Marseille, à l’autoroute A55 située au nord, ont fait l’objet d’un contrat de concession établi en 1990 par la mairie de Marseille avec la société marseillaise du tunnel Prado Carénage. Par un autre contrat, la société Prado Sud a été chargée en 2008 de construire et exploiter le tunnel dit « Prado Sud » permettant de rejoindre les autoroutes de l’est et le littoral depuis le boulevard Michelet ou l’avenue du Prado. En pratique, la Société marseillaise du tunnel Prado Carénage assure l’exploitation des deux ouvrages.
Prado Carénage et Prado Sud : l’un des tronçons autoroutiers les plus chers du pays
Dans le cadre d’un transfert de compétences, au 1er janvier 2001, la communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole s’est substituée à la commune de Marseille. Le 1er janvier 2016, du fait d’un nouveau transfert de compétences, la Métropole Aix-Marseille-Provence s’est à son tour substituée à la communauté urbaine Marseille Provence Métropole.
Alors que le prix des péages d’autoroutes a encore augmenté au 1er février 2025, la traversée du Prado-Carénage, longue de 2,45 km, s’élève désormais à 3,30 euros et celle du Prado Sud (1,5 km) à 2,80 euros. Soit un coût cumulé de 6,10 € pour moins de 4 km, ce qui fait certainement de la traversée souterraine de Marseille l’un des tronçons autoroutiers les plus chers du pays. Chaque jour, 39 587 véhicules en moyenne utilisaient le tunnel Prado Carénage en 2022.
Absence quasi totale de toute contrepartie, au détriment de la Métropole…
Mais si la Chambre régionale des comptes souligne l’extrême rentabilité de ces deux concessions, elle s’alarme surtout de l’absence de toute contrepartie. Les deux ouvrages sont en effet d’autant plus rentables qu’il ne donnent lieu au versement d’aucune redevance liée à l’occupation du domaine public pour le premier (SMTPC) et seulement 13 000 € par an pour le second (SPS).
Un cadeau difficile à expliquer, qui plus est au regard des bénéfices engendrés, pour la CRC qui note : « Depuis sa signature et jusqu’à aujourd’hui, le contrat signé avec la SMTPC n’a jamais relevé de l’une des dérogations prévues par la réglementation. Une redevance d’occupation du domaine public est par conséquent due par la société. »
… pointée pour sa légèreté et un contrôle insuffisant
Les magistrats pointent la responsabilité de la Métropole Aix-Marseille et d’un contrôle insuffisant de sa part : « Les deux contrats prévoient que la Métropole contrôle leur exécution, notamment par l’exploitation des documents produits par les concessionnaires. Les documents transmis à l’autorité concédante sont à ce jour incomplets, sans pour autant que l’établissement applique les pénalités prévues. » Ajoutant au passage : « En outre, la Métropole n’est pas en mesure d’apprécier dans quelle mesure les ouvrages construits ont contribué à l’atteinte des objectifs qu’elle poursuivait en matière de mobilité urbaine. »
« Des tarifs strictement encadrés », se défend la SMTPC
Face à ces critiques, la Société marseillaise du tunnel Prado Carénage se défend. Sur les tarifs pratiqués, la SMTPC rappelle « qu’ils sont fixés dans le cadre du contrat de concession avec la Métropole, qu’ils sont strictement encadrés et évoluent en lien avec l’inflation et son impact sur les charges réelles d’exploitation (coûts de maintenance, d’énergie, de personnel, etc.) » et visent à « couvrir l’ensemble des coûts supportés par la société pour entretenir et exploiter les tunnels, mais également pour amortir les forts investissements réalisés sur la durée de la concession (plus de 300 millions d’euros investis par la société pour la seule concession du tunnel Prado Carénage) ».
« Ce modèle, souligne-t-elle encore dans un communiqué, permet de garantir un haut niveau de qualité de service pour les usagers, tout en assurant l’entretien et la pérennité des infrastructures. »
Sur les dividendes eux-mêmes, la SMTPC indiquent qu’ils « sont versés majoritairement en fin de concession et viennent rémunérer les très forts investissements réalisés par la société tout au long de la concession. Nous regrettons que l’analyse de la Chambre Régionale des Comptes ne reflète pas cette approche globale propre au modèle économique des contrats de concession et soit reprise avec de larges biais de communication. »
Les (très) longs contrats de concession à la SMTPC et SPS
D’autant que ce n’est pas le seul “cadeau” relevé par les magistrats. Dans leur rapport, ces derniers s’interrogent aussi sur l’allongement de la durée du contrat de concession de sept ans et quatre mois, portant son terme à 2033, dont bénéficie la SMTPC en contrepartie de l’acquisition du tronçon, de la construction et de l’exploitation de la « bretelle Schlœsing », débutée en 2015, inaugurée en 2023 et considérée comme une extension du tunnel Prado Carénage. Et ce, « malgré le raccourcissement de l’ouvrage, ce qui a réduit les charges de la société », note-t-elle au passage.
Le contrat du Prado Sud a, lui, été établi jusqu’en 2055, autre façon de dire que les choses ne sont pas près de bouger.
Pour toutes ces raisons, la CRC recommande notamment à la SMTPC de « produire annuellement les comptes de la concession et non uniquement ceux de la société conformément aux stipulations contractuelles » ; et à la Métropole Aix-Marseille-Provence de « présenter les rapports d’activité annuels des sociétés concessionnaires au premier conseil métropolitain suivant leur dépôt ». L’institution présidée par Martine Vassal a promis en retour d’engager « une réflexion avec le concessionnaire sur la question de la redevance d’occupation du domaine public ». Un minimum.
Document source : le rapport d’observations définitives de la CRC
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