Alain Lacroix, président de Région Sud Invest, réagit au Baromètre 2021 des levées de fonds réalisé par Gomet’ avec le soutien de Crowe Ficorec et Région Sud Invest.
Regard rétrospectif : comment analysez-vous l’année 2021 ?
Alain Lacroix : D’une manière générale, je crois que l’année économique a été particulière eu égard au fait qu’on a connu encore les effets de la crise sanitaire et malgré tout, les boîtes se sont bien comportées. Quand on consulte les banques, on constate qu’il n’y a pas eu de casse.
Mais cela est relativement artificiel, toutes choses égales par ailleurs, compte tenu de la perfusion des PGE qui n’est pas une mince affaire. Et quand on discute avec les entrepreneurs, tous avouent qu’ils ont passé la crise sans problème. Nous sommes dans une économie de rattrapage avec un niveau que l’on qualifie de plein-emploi, même si je suis prudent sur l’expression !
Est-ce aussi vrai pour les start-up ?
A. L. : En 2021 les start-up, les boîtes innovantes, ont continué à faire du projet sans être bloquées par la perspective très aléatoire de sortie de la pandémie. Un certain nombre d’indicateurs ont permis de donner de la visibilité. Chacun s’est vu sortir de la crise et donc, badaboum, on va y aller ! Cette euphorie a contribué à un certain état d’esprit : le Covid, c’est derrière nous. Si on croit en l’avenir, si on a des perspectives, l’économie tient mieux que quand tout le monde pense qu’on va dans le mur ! J’ai mis en garde sur l’inflation, c’était dans Gomet’ en mars dernier où je parlais déjà d’une « menace d’une inflation durable ». Ça ne fait pas de moi un visionnaire, loin de là, mais on voit des bulles d’inflation arriver.
Si les difficultés d’endettement de certaines sociétés sont réelles, ma principale inquiétude ne va pas tant au mur de dette que sur l’inflation qui s’installe aujourd’hui. Au départ, elle devait être passagère mais on voit bien désormais avec la flambée de l’énergie notamment que le phénomène s’annonce durable. Et le conflit en Ukraine vient aggraver la situation. On ne sait pas combien de temps cela peut durer mais les effets sur nos économies risquent d’être importants. Face à la hausse des prix, les entreprises vont faire face à des revendications salariales légitimes et cela risque de peser sur leurs résultats à moyen long terme.
Alain Lacroix 15 mars 2022
J’ai vu venir le coup, mais ce n’était pas lié à guerre en Ukraine, mais au dérèglement mondial auquel on est en train d’assister et qui n’a fait que croître.
L’inflation est-elle une menace réelle pour notre économie ?
A. L. : Les entreprises d’une manière générale ont plutôt bien performé, depuis 10 ans, mais les augmentations salariales, c’est encéphalogramme plat ! La pression est de nature à réveiller un certain nombre d’acteurs socio-économiques. Les salariés vont revendiquer des augmentations de salaire, ce qui va générer une tension sur les comptes d’exploitation des entreprises. À quoi s’ajoute la guerre en Ukraine qui dérégule le modèle économique mondial avec une situation de repli sur soi. Les 30 dernières années nous étions dans la mondialisation. Nous sommes allés produire dans les pays à bas salaires, nous avons en quelque sorte externalisé les bas salaires. Nous n’avons pas eu d’inflation parce que nos tee-shirts et tutti quanti sont fabriqués à l’autre bout du monde avec des salaires à moins de 200 € par mois. Il est évident que nous n’avions pas de tension inflationniste !
Avec la crise ukrainienne, avec le Covid, les États ont pris conscience qu’il faut reprendre la souveraineté sur un certain nombre de leurs productions. Mais le système s’est grippé: avant par exemple on affrétait un bateau pour 10 000 € la journée, nous sommes passés à 65 000 €. Dans l’immobilier notamment, nous avons des problèmes d’approvisionnement, et ça va se tendre de plus en plus à tous les niveaux. Je pense que ce grippage du système est lié à un deuxième phénomène : il n’y a plus de PGE, plus d’aides, au contraire, il faudra rembourser. Mettez tout cela dans un shaker : tensions sociales, blocages logistiques et d’approvisionnements, fin des aides, remuez et nous aurons des tensions évidentes sur l’économie et sur nos entreprises. Les banquiers redoutent une montée du risque en 2023.
La relance est-elle menacée ?
A. L. : On croyait qu’on était enfin sortis du tunnel et que ça allait repartir. Sans prévoir le pire, parce que le pire n’est jamais sûr, nous avons un certain nombre d’indicateurs qui laissent à penser que la visibilité n’est pas terrible et qu’il y aura un certain nombre de remises en cause. Il y a 30 ans on disait tous : « l’industrie, c’est fini, place aux services ». Nous disons l’inverse. C’est un facteur d’internalisation de l’emploi, même si ça ne se fait pas en deux minutes. C’est aussi un facteur de souveraineté tout à fait essentiel dans un monde qui devient plus dangereux qu’avant. Des entrepreneurs vont emboîter le pas et s’engager sur l’industrie, comme dans la transition énergétique. Ce sont des nouvelles sources d’opportunités. Il y a toujours des femmes et des hommes qui ont cette intelligence de tourner une page, d’entrer dans un autre monde. Les “startupeurs” sont en première ligne.
DOSSIER : le baromètre des levées de fonds 2021 Crowe Ficorec – Région Sud Investissement
« La pandémie, la guerre, l’inflation dérégulent notre économie»(Alain Lacroix)
« Nous privilégions le financement de l’industrie et du plan climat » (Pierre Joubert, RSI)
[Analyse] 2021 : une belle année pour les levées de fonds sur notre territoire (Matthieu Capuono, Crowe Ficorec)
Baromètre des levées de fonds 2021 : le temps des millionnaires !