Si la création d’une cité judiciaire « moderne » à Marseille fait consensus, compte tenu du manque d’espace dans les locaux existants, la question de l’emplacement divise. Le monde économique et le barreau de Marseille refusent un exil de la justice en périphérie, qui signifierait selon eux la « mise à mort » d’une partie du centre-ville.
La Chambre de commerce et d’industrie d’Aix-Marseille Provence (CCIAMP) et l’Ordre des avocats du barreau de Marseille s’associent contre la création d’une nouvelle cité judiciaire en dehors du centre-ville – une option défendue par le ministère de la Justice (notre article). Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti soutient en effet la construction d’une tour de 40 étages de plus de 40 000 m², dans le quartier excentré Euroméditerranée (2e), afin d’y délocaliser à horizon 2028 la totalité de l’activité judiciaire, installée actuellement autour du Palais Monthyon (6e), en cœur de ville.
La future cité judiciaire devrait accueillir 600 magistrats et fonctionnaires dans un seul lieu. Cet équipement dont le coût est estimé à 250 millions d’euros rassemblera à terme le tribunal judiciaire, le tribunal de commerce et les prud’hommes.
« On veut tous d’une cité judiciaire moderne, mais elle doit rester dans le centre-ville », plaide Jean-Luc Chauvin, le président de la CCIAMP, à l’occasion d’une conférence de presse organisée mercredi 19 avril, au matin, dans le salon d’honneur du Palais de la Bourse (1er). Devant une assemblée composée en partie d’avocats en robe et de commerçants, le porte-parole du monde économique local poursuit : « nous ne pouvons accepter qu’une telle décision, lourde de sens, nous soit imposée, sans réelle concertation avec les principaux concernés (…) sans qu’aucun autre scénario n’ait été sérieusement étudié. »
« Un manque d’ambition du ministère »
Aux côtés de Jean-Luc Chauvin, le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Marseille Mathieu Jacquier dénonce à la barre « un manque d’ambition du ministère pour Marseille, et pour la justice ». Il a récemment transmis un courrier au ministre pour défendre l’option d’un maintien de l’activité judiciaire en centre-ville mais n’a « toujours pas de retour. » Car selon lui, la proposition ministérielle ne respecte pas une double dimension « pratique et écologique ». Maître Jacquier s’explique : « vous allez obliger des avocats qui aujourd’hui vont à pied dans leur juridiction, à prendre les transports en commun ou leur voiture (…) Ce n’est pas logique. »
Cité judiciaire : la préférence de Dupond-Moretti pour sortir du centre-ville se confirme
Une perte estimée à 18,3 millions d’euros par an
Étude d’impact à l’appui, Jean-Luc Chauvin alerte sur les conséquences « très importantes », pour l’attractivité du centre-ville, d’une délocalisation de la justice à Arenc. Selon une enquête* menée par les services de la Chambre, sur commande du barreau, les dépenses (restauration, vêtements, coiffeurs…) effectuées à proximité du Palais, en semaine, par 1890 avocats, leurs salariés et les agents publics du tribunal (soit 3800 consommateurs au total) représentent au moins 18,3 millions d’euros par an. Un chiffre qui ne prend cependant pas en compte les consommations des justiciables. La CCI nuance d’ailleurs les résultats de son étude, jugeant que l’impact réel y est « minoré. »
« Ne laissons pas partir les professionnels qui font battre le cœur de nos quartiers (…) et en particulier les avocats qui ont un fort pouvoir d’achat », soutient Jean-Luc Chauvin. Le président de la Chambre, vent debout contre le projet ministériel, n’hésite pas à qualifier la délocalisation de l’activité judicaire de « mise à mort d’une grande partie de l’activité économique du centre-ville. » Il réfute l’idée qu’un déménagement de la justice renforcerait significativement l’attractivité d’Arenc. « Il y a 30 ans, on a déplacé le conseil départemental pour l’amener à Saint Just avec les mêmes arguments (…) Et qu’est-ce que ça a créé ? Rien ».
À la question de l’attractivité, s’ajoute également celle du foncier. Sept avocats sur dix inscrits au barreau de Marseille habitent à moins de 10 minutes à pied du Palais de justice. « (Ils) représentent à peu près 55 000 m² de locaux divers occupés sur la zone. En valeur théorique de location, c’est presque 9,5 millions d’euros », indique Christophe Lowezanin, data scientist économie à la Chambre. En cas de départ massif, la remise sur le marché des biens suscite la crainte du monde économique et du barreau. Elle pourrait amplifier selon eux le phénomène de vacance des locaux en centre-ville.
C’est juste un couteau dans le dos.
Guillaume Sicard
Présent ce jour là pour afficher son soutien, et participer lui aussi à la levée de boucliers générale, Bernard Marty, le président de l’union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH 13) remarque un paradoxe : « on ne peut pas d’un côté, faire en sorte de revaloriser les centres-villes, et de l’autre, retirer la clientèle qui circule ». Un propos prolongé par Guillaume Sicard, le président de la fédération Marseille Centre, qui redoute une « catastrophe » pour le cœur marseillais. « de notre côté, cela fait cinq ans que c’est la galère (…) Là, c’est juste un couteau dans le dos. » Il évoque le nombre de 1800 commerces impactés.
Au delà du fond, la forme dérange
La méthode Dupond-Moretti ne convainc pas à Marseille. Jean-Luc Chauvin dénonce « une décision unilatérale sans concertation préalable ». Alors, quit à ralentir le calendrier de quelques années, il demande la création d’une « commission de concertation », sous le patronage du préfet de région, pour que l’opinion des professionnels de la justice, des habitants, des collectivités et du monde économique soit elle aussi prise en compte. « Ce genre de décision ne doit pas être prise uniquement à Paris », martèle le président de la Chambre. Même discours du côté de maître Mathieu Jacquier, qui témoigne : « quand le ministre vient me voir, il essaye de me vendre un projet tout ficelé ».
Cité judicaire en centre-ville : « des solutions existent »
Une nouvelle cité judicaire « moderne et digne de la deuxième ville de France » serait l’occasion, selon Jean-Luc Chauvin, de présenter un « geste architectural puissant » en centre-ville de Marseille. « Un nouveau joyau après le Mucem », appuie Guillaume Sicard. La Chambre propose de lancer un concours d’architecture « pour reconstruire une cité judiciaire du XXIe siècle en centre-ville » sur l’emprise actuelle. Maître Jacquier assure que « des dérogations au PLUi sont possibles pour construire 40 étages en centre-ville ». Il rêve d’un « beau et grand palais » au cœur de Marseille, en attendant une réponse du ministère.
*Cette étude réalisée en dix jours mêle des données nationales, et les résultats d’un sondage réalisé auprès de 852 professionnels du barreau de Marseille.
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